Publié il y a 16 jours - Mise à jour le 16.05.2024 - Louis Valat - 9 min  - vu 878 fois

ALÈS Sofian Hadj-Brahim, l'enfant du pays à la conquête du graal

Sofian Hadj-Brahim.

- Photo Louis Valat

À 31 ans, le kick-boxeur alésien Sofiane Hadj-Brahim est sur le point d'atteindre le sommet de sa carrière en visant la ceinture Wako Pro du championnat du monde qui se déroulera à domicile le 1er juin, l'une des distinctions les plus prestigieuses de sa discipline. Son parcours, jalonné d'obstacles, de doutes et parfois même de regrets, mais surtout de nombreuses victoires, témoigne de son abnégation et de son talent indiscutable.

Tombé dedans quand il était petit. Son père, Kamel, un ancien boxeur de haut niveau, champion du monde, dirigeait le club Punch insertion cevenol, autrefois situé à la Maison pour tous. "Je n'avais que cinq ou six ans, mais je descendais et je l'accompagnais, c'était mon passe-temps, se remémore Sofian Hadj-Brahim. Je voyais des adultes sauter à la corde, taper dans un sac ou se battre, et je les percevais comme des super-héros." Au grand dam de son père, Sofian ne considérait les sports de combat que comme un spectacle, qu’il admirait néanmoins avec beaucoup d’attention. "Quand mon père organisait les galas à la salle polyvalente ou dans les arènes, je me régalais", se souvient-il. Mais le sport qui le passionnait véritablement, jeune, c’était le football, qu'il pratiquera en club jusqu'à l'adolescence. Jusqu'au jour où le kick-boxing vient frapper à sa porte.

À quatorze ans, le déclic

Il aura longtemps résisté, mais aura finalement fini par céder. En réalité, c’est en visionnant des vidéos sur YouTube par curiosité que le jeune Sofian prend conscience de la force de sa passion, jusque-là enfouie en lui. En 2007, voyant la passion naissante de son fils pour les arts martiaux, son père Kamel l'emmène à la 14ème édition de la Nuit des champions, le premier événement de sports pieds/poings en France. Il n'a que quatorze ans, mais c'est à ce moment-là que la magie, le déclic opèrent. "Je les ai vus et je me suis dit que c'était ça que je voulais faire de ma vie, boxer dans des salles comme celles-ci (c'était au Palais des sports de Marseille, NDLR)." Insouciance de l'enfance oblige, Sofian Hadj-Brahim n'est alors pas, ou peu, conscient de la charge de travail effectuée en amont par ces athlètes pour en arriver à se battre devant tant de monde. Mais peu importe, il veut s'en donner les moyens et s'inscrit au club de son père, le Punch insertion cevenol. Bien qu'il soit le fils d'un des gérants principal du club, Sofian Hadj-Brahim est traité de la même manière que les autres élèves. Son père, malgré son implication dans le club, n'intervient que rarement dans son apprentissage. Sofian explique : "Il ne m'entraînait pas plus que ça, je suivais les cours collectifs soit avec lui, soit avec Laurent (Raoux, NDLR) ou avec Nordine (Sekarna, NDLR), mais il n'y avait aucun favoritisme." Sofian, tout en héritant d'un background sportif et bénéficiant de l'aura de son père dans le milieu, est déterminé à se forger sa propre réputation, se faire un nom.

Partir de zéro

Avant cela, la phase apprentissage. Pour souvenir, le jeune cévenol avait derrière lui huit années de football, mais aucune expérience en kick-boxing, à part les quelques vidéos visionnées, même s'il ne faut pas sous-estimer l'efficacité parfois surprenante de ces vidéos dans l'apprentissage d'un sport. Avec un physique naturellement avantageux, grâce à sa stature longiligne, Sofian a dû investir un effort considérable dans le développement de ses compétences techniques, initialement quasi inexistantes. Son engagement acharné lui a permis de faire des progrès notables au sein de ce club à l'ambiance familiale, ainsi que dans diverses associations pratiquant sur tatami, où il a pu peaufiner son jeu. À 17 ans, il obtient une dérogation pour boxer en junior : le début de sa carrière amateur en plein-contact.

Jusqu'à ses vingt-deux ans, Sofian accumule une vingtaine de combats, pratiquement autant de victoires, remportant deux championnats de France junior en 2012, puis en 2013, ainsi que trois coupes de France. En 2013, à sa vingtaine, le jeune kick-boxeur subit une lourde blessure à la cheville qui l'éloigne du ring près d'un an. À son retour, contre toute attente, il remporte une coupe de France. En revanche, lors d'un dernier combat amateur disputé à Nîmes, sa cheville le trahit à nouveau, "elle m'a tout le temps joué des tours", confie-t-il. Hadj-Brahim prend alors une pause d'une année, jusqu'en 2015, où il décide, à l'âge de vingt-deux ans, de passer kick-boxeur professionnel, ayant accumulé une expérience assez conséquente pour y prétendre. Après avoir fait la demande à la fédération, celle-ci accepte.

Le grand bain

En passant professionnel en 2015, Sofian Hadj-Brahim décide de quitter son nid, son cocon familial et d'intégrer le Kayser Team, nichée dans les quartiers nords de la ville de Marseille. "J'y allais deux fois par semaine, par moment j'y passais même la nuit, et à d'autres moments, je me débrouillais avec des partenaires pour obtenir une chambre d'hôtel... C'étaient des périodes difficiles, des sacrifices importants. Je me souviens d'une fois où je n'avais pas de travail, pas d'argent, ou très peu pour mettre de l'essence, rien pour me nourrir ou boire. Parfois, au rond-point de Cora, à Alès, je me demandais si je ne faisais pas finalement demi-tour. Mais j'avais des objectifs, alors je persistais."

Sofian Hadj-Brahim
Sofian Hadj-Brahim, un kick-boxeur difficile à berner. • Photo Corentin Migoule

Une aventure phocéenne qui s'étend sur deux ans, de 2015 à 2017, durant laquelle Sofian est entraîné par les meilleurs de la discipline. Il évolue dans une ville où le sport, notamment la boxe, occupe une place centrale. Vivre au rythme de la boxe, comme la concrétisation d'un rêve arrivé sur le tard. En 2016, pour sa première saison en tant que professionnel, il remporte le titre de champion de France. Un exploit remarquable pour un débutant dans le monde professionnel du kick-boxing. En 2017, à l'occasion de sa toute première participation à la Nuit des champions à Marseille - vous vous souvenez, son rêve d'enfant -, Sofian a été néanmoins confronté à sa première défaite en tant que professionnel. Premiers moments de doute de sa jeune carrière. 

Coup d'arrêt et retour aux sources

Depuis ses débuts, Sofian Hadj-Brahim n'avait connu qu'une trajectoire ascendante. Mis à part quelques revers dus à des problèmes récurrents à sa cheville gauche, rien n'avait entravé sa progression fulgurante. Devenir professionnel à seulement 22 ans et remporter un titre dès sa première année était annonciateur d'une carrière très prometteuse. Son père, Kamel, voyait en lui un potentiel énorme à exploiter. Tout bascula néanmoins lors de cette soirée de novembre 2017, le 25, alors que Sofian affrontait un certain Mickael Pignolo dans la catégorie des 70 kg. Ce combat qu'il perdit à la Nuit des champions fut un choc dont il eut du mal à se remettre. "À la fin du combat, je me suis regardé dans le miroir et je me suis dit : Sofian, qu'est-ce que tu fais ? Ta vie n'est pas sur la bonne voie, tu n'as pas de travail. Ma préparation au combat était médiocre, mentalement je n'étais pas là, je ne savais pas où j'en étais financièrement, j'avais juste combattu pour un chèque ce soir-là, c'en était trop."

Frustré par sa première défaite en professionnel et déçu de sa prestation, probablement trop "dur" envers lui, Sofian Hadj-Brahim fut contraint de faire une pause. Alors qu'il envisageait de laisser de côté ses gants de boxe, de ranger son short et de ne plus fouler le moindre ring, après une année de profonde réflexion, le natif d'Alès décide de revenir à ses racines. Il retourne s'entraîner dans la capitale des Cévennes pour un ultime combat à Pau (Pyrénées-Atlantiques), celui de la dernière chance. "Tu perds, tu arrêtes" se disait-il. Pourtant, il finit par remporter le combat au premier round, grâce à un coup de genou qui ouvre l'arcade de son adversaire. Un combat qui lui redonne foi et espoir en lui, en ses qualités et ses compétences puisqu'en un an, Sofian enchaînera sept victoires consécutives, parfois à l'extérieur, sous les couleurs du Punch insertion cevenol. "Même si j'ai fait de nombreuses salles, j'ai toujours aimé et voulu représenter ma ville, Alès."

Sofian au côté de son père, Kamel Hadj-Brahim, dans la salle du Punch insertion cévenol. • Photo Corentin Migoule

De nouvelles responsabilités extra-sportives

Tandis qu'il s'apprêtait à combattre de nouveau en mars 2020, la pandémie stoppe son élan, sa continuité. Ce nouveau coup d'arrêt, pourtant, lui permet de prendre du recul en tant qu'être humain. À ce moment-là, où le temps s'est arrêté pour tous, il rencontre celle qui deviendra sa femme, avec qui il se marie peu de temps après. "La crise sanitaire, contrairement à beaucoup, m'a permis de me recentrer sur ma vie personnelle. J'ai fait un tas de choses, j'ai rencontré ma femme, nous nous sommes mariés puis j'ai fait construire. Pour la boxe, j'ai eu un énième coup d'arrêt, mais dans ma vie personnelle j'ai avancé, c'était important pour moi."

Après deux ans sans combattre, les organisateurs de la Nuit des champions à Marseille lui proposent un nouveau combat en novembre 2021 contre Aymeric Lazizi, considéré par ses pairs comme l'actuel numéro un de sa discipline. Sofian doit perdre 10 kg pour revenir. Il relève le défi et se présente en outsider dans ce combat, qu'il perd de justesse aux points, à la décision. "J'étais très satisfait de ma boxe ce soir-là. Lazizi est encore invaincu à l'heure actuelle, et tout le monde pensait qu'il allait m'écraser. Au final, j'ai fait honneur après deux ans d'arrêt." Il enchaîne deux victoires puis...

"Ma carrière, ce sont les montagnes russes"

Sofian Hadj-Brahim n'a rien d'un sportif ordinaire. Sa carrière est faite de hauts et de bas, et la régularité ne lui a jamais souri. Tantôt en raison de décisions personnelles prises dans la fougue de la jeunesse, tantôt à cause de blessures à la cheville ou encore de situations personnelles difficiles à gérer. Le 19 novembre 2022 ne fait pas exception. En septembre, sa femme accouche par césarienne dans des conditions difficiles. Malgré cela, Sofian reprend l'entraînement un mois plus tard, vers le 10 octobre.

Alors que Sofian se préparait pour son combat, un événement, pas des moindres, perturbe ses plans. Le lundi précédant l'événement, son enfant âgé de seulement deux mois a commencé à montrer des signes alarmants de fatigue et de faiblesse. Les médecins ont rapidement diagnostiqué un cas sévère de Covid, avec une fièvre atteignant 40 degrés. Face à cette situation délicate, Sofian a finalement opté pour partir pour son combat, malgré l'état critique de son fils. "Mais j'avais une barre à la tête dans l'hôtel. Je vais à la pharmacie le lendemain matin, sans rien dire à personne, et je découvre que je suis positif au Covid." Malgré ce diagnostic, il choisit de boxer et s'incline au premier round, seulement. "À ce moment-là, dans ma tête, je ne voulais plus entendre parler de boxe, assume-t-il. J'ai laissé mon fils à la maison avec 40 de fièvre, ma femme clouée au lit, et je suis allé boxer un type à ma portée, pour finalement prendre un K.O. au premier round !"

"J'ai vu le visage des gens changer à ce moment-là. Quand tu gagnes, tu es le plus beau et le plus fort, mais quand tu perds tu es nul, tu es fini. J'entendais des : arrête la boxe, tu es nul."

Sofian Hadj-Brahim

Une énième fois, Sofian Hadj-Brahim est revenu à la raison, bien trop passionné pour baisser les bras. "J'étais au bout de ma vie, j'ai passé des moments difficiles, j'étais dégoûté de moi-même, j'étais épuisé. Mais je suis revenu à la salle et j'ai repris du plaisir." Obsédé par son adversaire, il a demandé une revanche près de six fois, en vain. Malgré les refus essuyés, il réalise que l'essentiel est de retrouver le plaisir de boxer, même à l'entraînement : "Ce combat a été une leçon en réalité, il m'a redonné le goût et le plaisir que j'avais perdus."

Terminer en beauté

"Il faut finir fort." À 30 ans, après s'être relevé de plusieurs échecs et avoir mis à plusieurs reprises sa carrière en suspens, Sofian Hadj-Brahim décide de finir sa carrière au sommet, au plus haut niveau possible. Après avoir remporté un nouveau championnat d'Europe, il prend LA décision. L'été dernier, il contacte Francis Gimenez, un kick-boxeur reconnu, lui présentant son palmarès et son projet. "Il ne m'a pas vendu de rêve, c'est ce que j'ai aimé chez lui." Les deux hommes s'entraînent sans objectif de combat jusqu'en décembre, où Sofian affronte finalement le marseillais Anthony Recio, à l'extérieur.

Sofian Hadj-Brahim et Francis Gimenez après la victoire à Nice. • Photo DR/Sofian Hadj-Brahim

Quelques semaines après cette première victoire avec son binôme Francis Gimenez, il confie dans les colonnes d'Objectif Gard : "J'étais considéré comme un outsider, étant là pour lui servir de victoire. Finalement, je le fais compter à tous les rounds et je gagne haut la main. C'était une très grosse performance qui a montré que même à l'extérieur, à Marseille, je savais livrer de gros combats et l'emporter." Quelques semaines plus tard, il décroche la ceinture de la Nice Fight Night en battant Arthur Klopp, un adversaire d'un niveau supérieur au précédent. "Ce mec, personne ne l'a assis, sur une gauche je l'ai fais. Là, je prends conscience de certaines choses." Fier, son entraîneur lui propose alors de disputer, ce qui devrait être la chance de sa carrière.

Le combat d'une vie

Sofian Hadj-Brahim
À quinze jours de son affrontement avec l’Espagnol Omar El Morabet pour le titre mondial Wako Pro, Sofian Hadj-Brahim saute les déjeuners afin d’atteindre les 69 kg requis pour le combat. • Photo Louis Valat

Sofian se décrit comme un contreur, disant de lui que sa plus grande qualité est sa patience et son sens de l'analyse. Le 1er juin prochain, il devra faire preuve de ces atouts. En effet, il participera à un événement "All Stars" organisé à la Halle des Sports d'Alès, où de nombreux talents alésiens se défieront. Sofian affrontera l'Espagnol Omar El Morabet, dans l'espoir de remporter le championnat du monde de la fédération Wako Pro, la numéro un. "Pour moi, c'est comme ci on montait au sommet là. Les deux derniers étaient bons, mais Omar El Morabet est un cran encore au-dessus, il met beaucoup de débits, ça va être un combat très dur, tactiquement comme physiquement."

"C'est une fierté de voir le chemin parcouru. Quand je regarde en arrière, je me rends compte que j'ai commencé en tant que professionnel pour voir ce que ça donnerait. Finalement, je repars avec des titres. J'ai participé trois fois à la Nuit des Champions, j'ai remporté un titre européen, et je vais maintenant disputer un championnat du monde Wako Pro à Alès. J'avance étape par étape, mais c'est vraiment beau et je suis fier."

Sofian Hadj-Brahim

Attendu au tournant et à domicile, l'avenir de la prestigieuse carrière de Sofian Hadj-Brahim dépendra en grande partie du résultat de ce soir-là. Désireux de remporter la ceinture et de la défendre à l'étranger pour la première fois de sa carrière, Sofian connaît une véritable renaissance depuis un an. Semblant marcher sur l'eau, ses performances le rendent inarrêtable. Pourvu que ça dure !

Louis Valat

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